Politique fédérale ferroviaire : quels enjeux pour Genève et la Suisse romande ?
Le développement du rail est un enjeu clé pour répondre aux besoins de mobilité des travailleurs et opérer un report modal compatible avec les objectifs environnementaux. Sur ce dossier, la CCIG collabore avec d’autres associations économiques et avec les différents cantons romands au sein de l’association OUESTRAIL. La procédure de consultation fédérale relative à la Perspective RAIL 2050, qui est un outil de planification stratégique majeur pour la Confédération, a été l’occasion de renforcer cette collaboration afin de défendre les intérêts ferroviaires de la Suisse romande et de Genève.
Des infrastructures de transport performantes sont indispensables afin de permettre une activité économique soutenue et attirer des entreprises créatrices de valeur. En matière de développement du rail, l’axe Est-Ouest n’a malheureusement pas bénéficié d’efforts similaires aux investissements consentis pour l’axe Nord-Sud. Afin de pallier cette situation et de mieux défendre les projets d’amélioration des infrastructures ferroviaires romandes reliant Genève aux autres agglomérations, la CCIG est membre de OUESTRAIL, association qui s’engage en faveur de liaisons ferroviaires performantes en Suisse occidentale. Yannick Parvey, secrétaire général de OUESTRAIL, présente l’activité de cette association et les enjeux de la Perspective RAIL 2050 pour la région.
Comment est née OUESTRAIL et quels sont ses objectifs ?
L’association OUESTRAIL a été fondée en 2004. Elle est née de la fusion entre la Communauté d’intérêts de la ligne Simplon-Lötschberg (CISL) et la Communauté d’intérêts des transports ferroviaires de l'Arc jurassien (CITAJ). Elle s’engage en faveur de liaisons ferroviaires performantes en Suisse occidentale. Son attention se porte sur l'offre internationale, nationale et interrégionale, aussi bien pour le trafic voyageurs que marchandises. Le comité compte des parlementaires fédéraux, des représentants des cantons, des grandes villes, des associations économiques et des compagnies de transports. L’association agit de concert avec la Conférence des transports de la Suisse occidentale (CTSO) qui, elle, réunit uniquement les conseillers d’Etat en charge des transports des sept cantons occidentaux (Berne, Fribourg, Vaud, Valais, Neuchâtel, Genève et Jura).
Au cours de ces dernières années, sur quels dossiers l’association OUESTRAIL a-t-elle eu l’occasion de travailler ? Avez-vous un exemple concret de l’influence qu’elle a pu avoir sur la politique fédérale ferroviaire ?
OUESTRAIL s’engage au travers des consultations fédérales, lors du travail des commissions et durant le traitement par les Chambres fédérales des objets en lien avec la mobilité (objets ferroviaires, programme d’agglomération, financement offre, etc.). L’association a, par exemple, beaucoup œuvré dans le cadre de l’étape d’aménagement 2035 de l’infrastructure ferroviaire entre 2017 et 2019. Grâce à sa prise de position, relayée par des membres de l’association, plusieurs infrastructures ont été ajoutées au programme initial proposé par le Conseil fédéral. Le travail auprès des commissions et du plénum réalisé par les parlementaires membres du comité a permis d’augmenter les moyens à disposition et d’ajouter d’autres objets. Parmi les principaux ajouts, il y a l’aménagement partiel du tunnel de base du Lötschberg, la ligne directe Neuchâtel–La Chaux-de-Fonds ou encore le prolongement de la ligne de l’Aigle–Leysin.
La Perspective RAIL 2050, mise en consultation par le DETEC[1] cette année, constitue un outil stratégique majeur du développement futur de l’infrastructure ferroviaire nationale. Quel regard global portez-vous sur le projet mis en consultation et ses implications pour la Suisse romande ?
Bien qu’OUESTRAIL soutienne la vision, l’orientation stratégique et les objectifs du projet, elle regrette que ces derniers ne soient pas plus ambitieux pour le transfert modal et qu’ils ne soient pas coordonnés avec les autres stratégies, programmes et perspectives du DETEC. Il manque toute la vision à l’échelle du continent européen et la connexion de la Suisse occidentale avec le réseau européen à haute performance. La problématique des RER dans les zones frontalières de l’Arc lémanique et de l’Arc jurassien manque également dans l’orientation et les objectifs.
L’amélioration de la vitesse commerciale de la ligne Lausanne–Berne est un point crucial soulevé par OUESTRAIL. Comment se fait-il que le temps de parcours de cette ligne soit particulièrement élevé et quels sont les remèdes envisageables ?
La ligne Lausanne–Berne est longue de 97 kilomètres et son tracé n’a que peu évolué depuis son ouverture en 1862. Le tunnel de Vauderens réalisé en 2001 constitue la seule amélioration notable de cette ligne. Avec un temps de parcours de 66 minutes en 2022, la vitesse commerciale est d’environ 88 kilomètres/heure, ce qui est lent en comparaison d’autres tronçons.
Les promesses faites depuis Rail 2000 n’ont jamais été tenues avec le choix successif de solutions inadaptées dans le matériel roulant au détriment de la réalisation de nouveaux tronçons de lignes. Pire encore : sans logique d’investissement, l’entretien de l’infrastructure sur cette ligne a été négligé, ce qui oblige aujourd’hui les CFF à dégrader l’offre pour pouvoir effectuer ces travaux d’assainissement. Les temps de parcours seront prolongés de quelques minutes dès décembre 2024 pour permettre ces travaux.
Il est nécessaire aujourd’hui de penser à la réalisation par étape d’une nouvelle ligne entre Lausanne et Berne, d’une part pour réduire les temps de parcours et ainsi de rapprocher la Suisse occidentale de la Suisse allemande, d’autre part pour permettre le développement des offres RER et RegioExpress autour de Lausanne, de Fribourg et de Berne.
La fréquentation de la ligne Genève–Lausanne – véritable artère de la région lémanique – ne cesse d’augmenter et les retards accumulés dans le processus de rénovation de la gare de Lausanne inquiètent. Quels sont les obstacles à surmonter afin d’envisager dès aujourd’hui la réalisation d’une nouvelle ligne afin de doubler les capacités ?
La ligne Lausanne–Genève est aujourd’hui saturée. Les marges de manœuvre sont quasiment nulles et tout incident entraîne par effet de cascade un véritable chaos pour les clients du rail. Tous les trains Grandes lignes irriguant la Suisse occidentale passent sur ce tronçon, ainsi que de nombreux trains marchandises de et pour Genève.
Tout développement de l’offre nécessite des infrastructures importantes. La solution naturelle serait d’ajouter des voies supplémentaires à côté de la double voie actuelle. Mais cela resterait néanmoins très problématique. Un élargissement à quatre voies se heurte à plusieurs problèmes d’aménagement du territoire, d’infrastructure et de réalisation. En effet, la plateforme ferroviaire devrait être doublée avec de forts impacts sur le bâti, notamment dans les villes que traverse la ligne. La construction de cette infrastructure représente également un fort risque sur l’exploitation de la ligne actuelle avec une réduction de capacité (fermeture de voie) et de vitesse. Il est impensable de risquer une interruption de la ligne historique pour la réalisation de deux voies supplémentaires.
L’idée défendue par OUESTRAIL est la réalisation d’une nouvelle ligne indépendante. Cela permet d’offrir une réelle redondance en cas de perturbations, n’a pas ou peu d’impact sur l’exploitation de la ligne actuelle pendant la construction, réduit les nuisances des trafics sans arrêt (InterCity, marchandises) pour les riverains et offre ainsi la possibilité de développer les offres RegioExpress et RER sur la ligne actuelle. Cette dernière dessert parfaitement bien les villes et villages, y compris les pôles de développement ainsi que les centres économiques de l’axe Lausanne–Genève.
Une nouvelle infrastructure de cette ampleur s’inscrit dans un horizon à long terme. Il est nécessaire d’élaborer rapidement la vision finale et les possibles étapes. Ces éléments doivent être inscrits dans les outils d’aménagement du territoire de la Confédération (plan sectoriel) et des cantons. Les études d’avant-projet doivent être réalisées pour connaître les coûts, les risques et pour proposer différentes étapes. Rien que ce processus peut durer près de 10 ans. Il convient en parallèle d’obtenir les financements des différentes étapes successives pour envisager la mise à l’enquête de l’infrastructure. Cette étape politique nécessite un travail important de conviction et de lobbying. Ensuite, la demande d’autorisation de construire comporte plusieurs étapes, notamment celle du traitement des oppositions et de l’analyse technique du dossier par l’Office fédéral des transports. L’expérience de la gare de Lausanne montre que cette étape peut s’avérer laborieuse et longue. Dès l’autorisation reçue et le financement assuré, la construction peut débuter. On peut estimer un délai de 25 à 40 ans entre le début des études et la mise en service de l’infrastructure. Les objectifs climatiques de la Confédération et des cantons visent une neutralité carbone en 2050. Il est donc urgent de commencer à planifier cette infrastructure.
[1] Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication
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