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Energie des bâtiments : Entre objectifs politiques et Etat de droit

Morgan Tinguely
Posté le 22/09/2022
Articles de fond

PCC, PDE, REn, voici les trois acronymes qui peuvent résumer la stratégie énergétique du canton de Genève pour les bâtiments. Le plan climat cantonal 2030 (PCC) a été révisé récemment et adopté par le Conseil d’Etat. La fiche action en lien avec l’énergie et les bâtiments renvoie directement au Plan directeur de l’énergie 2020-2030 adopté par le Conseil d’Etat en décembre 2020. Une grande partie de l’implémentation des documents de planification pour les bâtiments est régie par la récente révision du Règlement sur l’énergie (REn).

Cette très ambitieuse révision comporte une vingtaine de modifications du cadre réglementaire. On constate que le champ des modifications apportées par le règlement est susceptible de dépasser le cadre réglementaire strict étant donné qu’il met en application une politique prévue par le nouveau Plan directeur de l’énergie (PDE) (décembre 2020), plus récent que les dernières modifications des disposition topiques de la loi sur l’énergie. Bien que soutenant le projet dans sa globalité, la CCIG avait émis quelques réserves sur le PDE, notamment sur la nécessité d’avoir une sécurité de planification.

Points clé de la nouvelle mouture

Un certain nombre d’éléments ont été modifiés dans la nouvelle mouture du REn, notamment la définition du Concept énergétique territorial et les standards de haute performance énergétique. Deux éléments, majeurs, concerneront les particuliers comme les entreprises, à savoir la baisse de l’indice de dépense de chaleur et de fortes restrictions sur les chaudières.

La baisse de l’indice de dépense de chaleur

Le règlement prévoit un indice de dépense de chaleur (IDC) de 450 MJ/m2 par an et cet indice est dépassé si la moyenne du bâtiment est supérieure à cette valeur durant trois ans. Il y a deux conséquences principales possibles. En cas de dépassement dit simple, un audit énergétique ainsi que des mesures d’amélioration aux frais du propriétaire sont ordonnés par l’Office cantonal de l’énergie (OCEN). En cas de dépassement significatif, des travaux énergétiques sont exigés par l’OCEN, soit des travaux de rénovation lourds qui permettent de ramener l’IDC en dessous de 450 MJ/m2 par an. Le tout doit être réalisé dans un délai de 3 ans à compter de la décision administrative.

« Selon les chiffres de l’étude de la Haute école du paysage, d'ingénierie et d'architecture de Genève (HEPIA), les investissements demandés par les nouvelles dispositions du règlement s’élèvent d’environ 1,3 million de francs pour un immeuble de 10 appartements à quelque 2,6 millions de francs pour 20 appartements, indique Christophe Aumeunier, secrétaire général de la Chambre genevoise immobilière (CGI). L’impact du règlement devrait se chiffrer en milliards de francs pour le secteur privé ». La question du financement des mesures est clé mais, malgré son importance cruciale, notamment à la vue de l’augmentation des coûts et de la pénurie de main d’œuvre qualifiée, elle est pour l’instant restée ouverte.

Les restrictions sur les chaudières

La nouvelle mouture du REn prévoit que la mise en place, le remplacement et la transformation d’une chaudière à combustibles fossiles soient soumis à autorisation énergétique dès que sa puissance thermique dépasse 5kW. Auparavant, ce seuil d’autorisation était de 1 MW. Du jour au lendemain, il a été réduit de 20 000 %. « Cette baisse drastique et instantanée est peu compréhensible, s’inquiète Martin Stucky, responsable Centre Information Mazout d’Avenergy Suisse. Nous sommes en faveur de la transition énergétique mais celle-ci doit se faire de manière ordonnée. À notre connaissance, aucun autre canton n’a procédé de la sorte. »

Ce qu’exige le règlement par ce biais, c’est l’utilisation en priorité d’énergie renouvelable et de pompes à chaleur. Le défi est considérable tant le parc immobilier genevois est ancien. « Le canton compte 44 000 bâtiments à usage d’habitation dont 26 000 ont été construits avant les années 1980 et 12 000 avant 1946, précise Martin Stucky. La plupart de ces bâtiments dépendent du mazout pour leur chauffage. C’est peu dire que moderniser l’ensemble du parc rapidement est compliqué ».

La technologie n’est d’ailleurs pas toujours mûre : « Le système des pompes à chaleur fonctionne bien sur les petits logements mais, dès que l’on arrive sur des immeubles d’une certaine importance, il n’y a pas encore d’approche sûre pour remplacer les chaudières. On en est au stade des essais pratiques sans pouvoir assurer que la solution en place sera pérenne. La durée de vie que l’on constate en pratique est de 5 à 10 ans », indique Christophe Aumeunier.

En Suisse, le mazout est amené à disparaitre progressivement en faveur des énergies renouvelables. « Nous soutenons la transition énergétique, mais nous sommes convaincus qu’il faut être dans une transition et non une rupture. La diversité de l’approvisionnement est une des clés pour notre sécurité énergétique, en particulier si l’électricité vient à manquer en hiver, en précisant qu’une pompe à chaleur consomme beaucoup plus d’électricité que les chaudières », précise Martin Stucky.

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La proportionnalité

Les objectifs politiques affichés et mis en œuvre par le REn sont ambitieux mais ils doivent malgré tout se conformer aux règles d’un Etat de droit dans leur application. « Il est regrettable que le règlement ne soit pas précis quant aux limites de ce qui peut être demandé aux propriétaires. Le garde-fou à cela est l’obligation, pour l’autorité, de respecter la proportionnalité », détaille Christophe Aumeunier. Cette notion, en pratique, est peu claire. Le canton de Neuchâtel a inscrit dans sa loi sur l’énergie une dérogation générale que peut prendre l’administration, sans qu’elle ne soit un droit pour l’administré.

La proportionnalité, d’un point de vue économique, se définit ainsi : « La justification de la non-proportionnalité économique devra être apportée sur la base d’études de variantes mettant en comparaison différents systèmes énergétiques en prenant en compte, dans les calculs de rentabilité, les coûts externes de l’énergie selon les dispositions de la norme SIA 480 « Calcul de rentabilité pour les investissements dans le bâtiment », selon le Conseil d’Etat neuchâtelois qui répondait en mai 2022 à une question d’un député.

La question pour Genève est de pouvoir déterminer plus pragmatiquement cette notion de proportionnalité économique afin d’éviter aux propriétaires d’avoir à se plonger dans les subtilités techniques des mesures SIA.


Définition de l’IDC

Selon la Directive relative au calcul de l’indice de dépense de chaleur de l’OCEN, l'indice de dépense de chaleur (IDC) est un indicateur de la consommation d'énergie d'un bâtiment pour couvrir ses besoins de chaleur (chauffage et eau chaude sanitaire).

Exprimé en mégajoules par mètre carré et par an (MJ/m2a), il représente la quantité annuelle d’énergie finale consommée pour la production de chaleur, ramenée à un mètre carré de plancher chauffé et corrigée en fonction des données climatiques de l’année considérée.

 

 

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