« Le bien-être durable. Quelle croissance pour Genève ? » Une étude pour appréhender les préférences des entreprises en matière de développement durable
(Genève, le 12 avril 2021) Si, à court terme, la croissance économique détermine vraisemblablement le niveau du bien-être social, il est un fait que ses conséquences ne sont pas uniquement positives. Sous le titre « Le bien-être durable. Quelle croissance pour Genève ? », la CCIG a lancé, en 2019, une vaste étude sous le pilotage d’un comité scientifique. Au travers d’une compréhension approfondie des diverses composantes de la croissance ainsi que d’une enquête auprès des entreprises genevoises – enquête encore jamais réalisée en lien avec le développement durable –, son objectif est de permettre de mieux anticiper et planifier l’évolution du canton.
Confiée à Giovanni Ferro Luzzi et Sylvain Weber de l’Ireg (Institut de recherche appliquée en économie et gestion), sous le pilotage d’un comité scientifique, l’étude se compose de deux parties. La première, déjà publiée, compile les indicateurs de la croissance et les discute. La seconde, empirique, tente, au moyen d'une enquête auprès des entreprises genevoises, de comprendre la manière dont les acteurs économiques considèrent la croissance et les changements qu’ils sont susceptibles d’engager en matière de développement durable. Il est à relever qu’il n’existe, en Suisse et ailleurs, que très peu d’analyses axées sur les entreprises dans le domaine du développement durable. Cette étude fait donc œuvre de pionnier et, pour le canton de Genève, est la première de son genre.
Le PIB : un indicateur universel mais limité
Datant des années 1930, le Produit intérieur brut (PIB) propose une quantification de la valeur de marché des biens et services d’un pays. Mais ses lacunes sont nombreuses : le PIB ignore ce qui n’a pas de valeur de marché (comme l’économie souterraine ou le travail domestique), il ne mesure pas la qualité des biens et services produits et n’accorde aucune importance à la valeur du patrimoine national en général et des ressources naturelles en particulier. Or, une économie qui utilise ses ressources naturelles pour produire un bien voit ainsi son PIB augmenter alors que l’épuisement progressif de ses ressources devrait impacter son PIB de manière négative. Enfin, mesure agrégée, il fournit une indication de l’évolution générale de l’activité économique mais ne donne aucune information concernant la distribution de la richesse entre les habitants du territoire examiné.
Pas d’indicateur alternatif probant
Autre indicateur, l’indice de développement humain (IDH) créé par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) se fonde sur trois dimensions : l’espérance de vie à la naissance, le niveau d’éducation et le niveau de vie. Le classement des pays qui en résulte est quasiment le même qu’avec la seule mesure du PIB et cet indice ne tient pas compte de l’impact environnemental.
D’autres concepts ont fait leur apparition et sont maintenant sur le devant de la scène. Il s’agit par exemple du développement durable, de la croissance verte ou encore de la société à 2000 Watts. Toutefois, aucun n’est exempt de défauts.
Compréhension, attentes et engagements des entreprises
Dans sa seconde partie, l’étude s’est attachée, au travers d’une enquête auprès des entreprises genevoises, à comprendre la manière dont celles-ci considèrent la croissance et les changements qu’elles sont susceptibles d’engager. Il s’est ainsi agi de déterminer si elles ont conscience de leur rôle en matière de développement durable, et si elles ont mis en œuvre certaines mesures ou s’apprêtent à le faire.
Large adhésion des entreprises à la RSE
Pour près de 40% des répondants, la RSE consiste premièrement à déterminer la manière dont l’entreprise est capable d’atteindre les normes sociales et environnementales sans compromettre ses performances, sa productivité et sa compétitivité. Le deuxième choix d’une large frange d’entreprises (25,6%) porte sur la mise en place de pratiques de travail éthiques.
Il ressort en outre de l’enquête que la quasi-totalité des entreprises (94,6%) considèrent la RSE comme ayant un impact positif sur la réputation de l’entreprise. La loyauté des employés et la fidélité des clients se placent également en tête des avantages perçus de la RSE (à plus de 87% chacune), suivies de l’amélioration de la qualité des produits et services (77%).
Avantages économiques moins évidents
Les avantages économiques apparaissent cependant moins évidents. Ainsi, même si relativement peu de répondants (entre 13 et 17%) indiquent ne pas être d’accord avec le fait de considérer la rentabilité, de meilleures conditions d’emprunt ou encore l’augmentation des bénéfices comme faisant partie des avantages de la RSE, une majorité d’entre eux est neutre quant à savoir si la RSE procure de tels avantages économiques. Les entreprises ne semblent donc pas percevoir de conflit entre RSE et les différents aspects économiques.
Davantage de retenue dans la mise en place de mesures
Concrètement cependant, les entreprises ayant effectivement mis en place des mesures visant à limiter leur impact sur l’environnement et à améliorer la situation de leurs employés apparaissent moins nombreuses. Ainsi, 13% des entreprises ont réalisé un bilan carbone de leurs activités et un tiers, une analyse de l’égalité salariale entre femmes et hommes.
Que ce soit en matière environnementale ou sociale, les entreprises qui ont effectué une analyse (bilan carbone ou égalité salariale) n’ont en général pas été surprises par leurs résultats. Dans les deux cas toutefois, les entreprises ont mis en œuvre des changements à la suite des analyses : dans la presque totalité des cas suite au bilan carbone et pour 30% d’entre elles, suite à l’analyse de l’égalité salariale.
Le problème du bien commun global
Parmi les entreprises n’ayant pas mis en place de mesures liées à l’environnement, la raison principalement invoquée est que l’impact attendu est trop faible. En deuxième position on trouve la conviction que la réduction de la consommation d’énergie se situe en dehors de leurs priorités.
Ceci illustre un problème typique de la thématique du changement climatique : le climat est un bien public global. Autrement dit, les entreprises considèrent que leur action individuelle ne permettrait pas d’avoir un impact sur le changement climatique. L’existence d’un cadre réglementaire international et national, avec des gouvernements qui coordonneront les actions, est donc appelé à jouer ici un rôle important, afin d’éviter qu’un pays qui agirait seul ne subisse des coûts sans pouvoir tirer le moindre bénéfice en retour.
Sensibilité au coût
L’étude s’est ensuite attachée à faire ressortir les préférences des entreprises en matière de développement durable, au moyen de la méthode dite des « préférences déclarées », qui consiste à mettre le répondant devant des alternatives hypothétiques.
Il en ressort tout d’abord que les entreprises ont tendance à choisir plus fréquemment une alternative comportant une dépense dans les ODD[1] (quels qu’ils soient). On peut en déduire que les entreprises sont donc favorables à contribuer au développement durable.
Toutefois, chaque augmentation d’un point de pourcentage du chiffre d’affaires à dépenser réduit la probabilité que l’entreprise sélectionne une option, dans une proportion allant jusqu’à 7%.
L’environnement devant le social
La probabilité de sélectionner une option dans laquelle se trouve un ODD environnemental est environ 15% plus élevée que s’il n’y en a pas.
Parmi les ODD spécifiquement considérés, six d’entre eux sont favorisés par les entreprises et, en premier lieu, Travail décent et croissance économique (ODD 8), suivi de : Éducation de qualité (ODD 4), Énergie propre et d'un coût abordable (ODD 7), Industrie, innovation et infrastructure (ODD 9), Consommation et production responsables (ODD 12) et Mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques (ODD 13).
Parmi les ODD spécifiquement liés au social, les entreprises montrent une nette préférence pour l’ODD 8, alors que les objectifs Egalité entre les sexes (ODD 5) et Inégalités réduites (ODD 10) n’ont pas la cote.
Le développement durable s’ancre au cœur de l’action de la CCIG
En marge de l’étude, la CCIG s’est interrogée sur son propre rapport au développement durable. C’est ainsi que son Conseil économique a créé un groupe de réflexion consacré à la durabilité. Ses travaux ont conduit la CCIG à adapter sa vision stratégique et ses missions, dans le sens d’une place économique genevoise durable et tournée vers l’avenir. Celles-ci sont désormais incorporées au sein d’une Charte « durabilité » et la Chambre procède actuellement à un audit RSE, en vue d’une certification.
Dans sa vision stratégique, la CCIG s’est donné quatre missions : militer pour des conditions cadre économiques et politiques favorisant les performances entrepreneuriales, sociales et environnementales ; promouvoir ses Membres par la mise en relation d’affaires ; fournir des services aux entreprises leur permettant de progresser, notamment en matière de durabilité et de digitalisation ; constituer un modèle de responsabilité sociétale en intégrant les bonnes pratiques au sein de la CCIG.
En cohérence avec ces développements, la CCIG propose d’ailleurs désormais à ses Membres un Diagnostic Durabilité, qui peut être réalisé soit dans le cadre d’un accompagnement individuel créé en partenariat avec Sofies, soit dans le cadre d’un accompagnement en groupe, sous l’égide de B Lab / Swiss Triple Impact.
- Consulter l’étude « Le bien-être durable. Quelle croissance pour Genève ? », partie I
- Consulter l’étude « Quelle croissance pour Genève ? Le point de vue des entreprises », partie II
Pour tout renseignement complémentaire
Alexandra Rys, directrice Communication de la CCIG, tél. 022 819 91 46, courriel : a.rys@ccig.ch
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· Alexandra Rys (CCIG) |
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Enquête auprès des entreprises : méthodologie
L’enquête s’est déroulée entre le 15 décembre 2020 et le 22 mars 2021. Le questionnaire a été envoyé à 2'421 entreprises membres de la CCIG. Le nombre de réponses complètes s’élève à 262, soit un taux de retour de près de 11%. À cela s’ajoute encore 139 réponses partielles, dont certaines sont remplies à plus de 90%. Ce taux excède celui habituellement enregistré dans ce type d’enquête.
Le questionnaire se composait de trois parties principales : une partie collectant des informations relatives aux actions et mesures observables, une partie relative aux préférences déclarées vis-à-vis des Objectifs de développement durable (ODD) et une partie, aux caractéristiques de l’entreprise et de la personne répondant au questionnaire.
La deuxième partie du questionnaire était basée sur une expérimentation des choix discrets (discrete choice experiment). Il s’agit d’une enquête dans laquelle les répondants sont placés devant des choix hypothétiques, ce qui permet de faire ressortir les préférences dites déclarées. Dans le cas présent, il a été demandé aux entreprises si elles seraient disposées à allouer un certain pourcentage de leur chiffre d’affaires en faveur de certains ODD. Chaque entreprise a été soumise à quatre situations différentes, dans lesquelles les ODD et la proportion du chiffre d’affaires variaient, de sorte qu’il est possible de déterminer l’influence de chacune de ces dimensions sur le choix de l’entreprise. On peut ainsi faire ressortir quels sont les objectifs privilégiés par les entreprises et ceux qui le sont moins.
[1] ODD : Objectifs du développement durable définis par l’ONU
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