Menu

5G : Sortir du débat émotionnel

CCIG
Posté le 15/06/2020
Articles de fond

En cette période de semi-confinement et d’utilisation massive du télétravail en raison de la pandémie de coronavirus, le réseau internet est plus que jamais sollicité. Or, la mise en place de la nouvelle norme téléphonique 5G fait l’objet d’une résistance farouche en Suisse, comme en témoignent les moratoires adoptés sur le développement de cette technologie à Genève et dans plusieurs autres cantons. Pas moins de cinq comités élaborent parallèlement des initiatives populaires sur le thème de la 5G. Pourquoi une telle réaction et quelles seraient les conséquences d’un moratoire général de longue durée pour la Suisse ? Eléments de réponse dans ce dossier.

Il faut l’avouer d’emblée : une incertitude demeure quant aux effets et aux risques qui accompagnent la mise en place de cette nouvelle norme technologique. Le risque pour la santé constitue la principale cause de rejet de la part d’une partie de la population et de la classe politique. Sur les réseaux sociaux, le sujet devient omniprésent et les craintes compréhensibles côtoient les théories les plus farfelues, accompagnées de leur lot de fake news. La dernière en date : la 5G serait responsable de la pandémie de coronavirus, car la région de Wuhan en est équipée. Dans le maelström d’informations contradictoires et d’avis tranchés, séparer le bon grain de l’ivraie devient ardu. Il est toutefois indispensable de s’emparer de la question, tant les enjeux qui accompagnent ce débat sont importants.

La 5G, de quoi s’agit-il ?

La 5G est la cinquième génération de connectivité internet mobile. Les caractéristiques techniques de cette nouvelle génération ont été établies par l’Union internationale des télécommunications (UIT, une agence de l’ONU). Elle devrait théoriquement permettre, par rapport à la 4G, un débit de transmission des données 100 fois plus important, un temps de latence 30 à 50 fois plus court et l’utilisation de 100 fois plus de terminaux. La 5G se décline en deux grandes bandes de fréquences, une bande « standard » de 700 mégahertz (MHz) à 3.8 gigahertz (GHz), et une bande dite « millimétrique » ultra haut-débit autour de 28 GHz.

Pas de réponse claire des experts

Le rapport de la Confédération[1] publié en novembre dernier, qui devait évaluer les risques potentiels liés à cette technologie, n’a apporté que de maigres éléments de réponse. Les experts du groupe de travail « Téléphonie mobile et rayonnement », mis sur pied par le Département fédéral de l'environnement, des transports, de l'énergie et de la communication (DETEC), n’ont en effet pas su s’accorder sur des recommandations claires quant à une éventuelle modification des valeurs limites de rayonnement des antennes.

En Suisse, la valeur limite de rayonnement des installations (antennes) actuellement fixée par l'ordonnance sur la protection contre le rayonnement non ionisant (ORNI) se situe entre 4 et 6 volts par mètre (V/m) en fonction de la fréquence, soit une fourchette de valeur dix fois inférieure à celles de l’OMS, fixée entre 39 et 61 V/m. Or, le déploiement complet du réseau 5G dans les prochaines années nécessite soit un relèvement de ce seuil limite, soit la multiplication de nouvelles antennes (ou une combinaison des deux) en raison de la portée plus courte de la 5G par rapport à la 4G. Les opérateurs sont naturellement plus enclins à un relèvement du seuil limite en raison du coût d’installation des nouvelles antennes, qui avoisine les 300 000 francs par unité.

Le rapport du DETEC précise qu’aucun effet sanitaire n’a été prouvé de manière cohérente en dessous des valeurs d’exposition limites (à distinguer des valeurs de rayonnement) en vigueur en Suisse et recommandées par l’OMS, à savoir entre 28 et 61 V/m en fonction de la fréquence. À noter que ces valeurs d’exposition limites sont actuellement loin d’être atteintes, avec une exposition des individus atteignant rarement 1,5 V/m. Toutefois, le risque sanitaire n’est pas totalement exclu malgré l’absence de preuve, d’où la réticence des experts à se prononcer unanimement sur un relèvement des seuils d’exposition et de rayonnement des antennes. Le groupe d’experts a toutefois proposé dans son rapport cinq options, dont le statu quo, et plusieurs propositions de modification de la valeur limite de rayonnement pour les installations.

Dans ce contexte, plusieurs cantons se sont d’ores et déjà prononcés pour un moratoire sur l’installation de nouvelles antennes. C’est le cas des cantons de Genève et de Vaud, où les opérateurs annoncent paradoxalement une couverture du réseau 5G de 90 %. Ceci s’explique par le fait que les moratoires concernent la construction de nouveaux mâts, mais pas la modification des antennes existantes ni les permis de construire déjà alloués avant les moratoires. Cette couverture de 90 % n’est de plus pas celle de la vraie 5G dite « ultra-rapide » ou « millimétrique ». Il s’agit de la 5G dite « de base », qui s’appuie en réalité sur le réseau existant 4G+. Le degré de couverture de la 5G dite « ultra-rapide » est pour l’heure très restreint, faute d’installations suffisantes. C’est en particulier autour de ce réseau que se cristallisent les tensions.

Le 22 avril 2020, le Conseil fédéral a déclaré dans un communiqué de presse[2] avoir chargé le DETEC de réaliser des mesures d’essai afin de déterminer de manière transparente l’exposition effective de la population due aux nouvelles antennes adaptatives, qui transmettent les signaux de manière ciblée en direction de l’utilisateur. À l'heure actuelle, le Conseil fédéral entend maintenir les valeurs limites de rayonnement des installations entre 4 et 6 V/m en raison de l’absence de recommandation claire en la matière de la part du groupe de travail « Téléphonie mobile et rayonnement ».

Une technologie aux multiples applications

Les bénéfices potentiels de ce nouveau réseau sont nombreux et certaines possibilités ne demandent qu’à être découvertes. La 5G permettra de surfer plus rapidement et offre de surcroît une multitude d’autres d’applications possibles telles que la mise en relation d’objets connectés (assistants personnels robotisés ou véhicules autonomes notamment). Les tests menés sur les voitures autonomes démontrent en effet que le réseau actuel n’est pas à même de supporter l’interconnectivité des machines, indispensable à une régulation optimale du trafic. Des applications sont également envisagées dans le secteur industriel ou de la santé. Comme lors de toute avancée majeure, il s’agira de s’adapter rapidement et de tirer profit de la myriade d’opportunités qui s’offriront aux entrepreneurs.

Mais quels seraient les effets d’un éventuel moratoire complet et durable sur cette nouvelle technologie ? Avenir Suisse, dans une analyse publiée début avril[3], a évalué quelles auraient été les conséquences d’un moratoire sur les générations de réseau précédentes comme la 3G et conclu qu’un véritable isolement technologique du pays en aurait résulté. Dans ce scénario, pas de WhatsApp ni de Google Maps sur les smartphones (sur lesquels il est impossible de surfer) ; les SMS coûtent toujours 20 centimes l’unité, tandis que le reste du monde communique sur des messageries en ligne ; toute l’économie est handicapée face à la concurrence internationale et il est impossible de répondre aux e-mails en déplacement ou de développer le secteur des hautes technologies. Les conséquences imaginables sont donc considérables. Dans le cas de la 5G, il est à l’heure actuelle impossible de prédire les bouleversements que pourrait apporter cette technologie dans notre vie quotidienne, mais l’exercice mené par Avenir Suisse permet d’imaginer les conséquences potentielles d’un moratoire.

Le monde assiste aujourd’hui à une course à l’installation de ce nouveau réseau. La Suisse est actuellement très bien positionnée en comparaison internationale avec la première étape qu’a constituée la couverture quasi complète du territoire par le réseau 5G « de base ». Les Etats-Unis, la Corée du Sud et la Chine ont également investi tôt et massivement dans cette technologie. Toutefois, la position de fer de lance qu’occupe la Suisse est remise en question par l’intervention des cantons, alors même que les télécommunications sont juridiquement du ressort de la Confédération. Plusieurs projets d’initiatives populaires ou parlementaires souhaitant diminuer encore davantage les seuils limites de rayonnement sont également en cours de lancement. Le réseau actuel, mis à rude épreuve pendant la crise du coronavirus, ne sera pas à même de supporter les besoins futurs de nos sociétés dans quelques années.

Même s’il est vrai que le réseau 4G est à ce jour suffisant, y compris dans les circonstances exceptionnelles actuelles, qu’en serait-il si le pays n’était pas passé de la 3G à la 4G ? Avec l’introduction du smartphone, l’utilisation de l’Internet mobile a augmenté de façon exponentielle. En Suisse, ces dernières années, le volume du trafic de données a doublé tous les 12 à 18 mois. Les prévisions suivantes, reprises dans le rapport publié par le DETEC, montrent comment cette croissance se poursuivra au cours des années à venir :

Rester dans la course

Se fermer à ce développement pourrait ainsi avoir des conséquences extrêmement importantes dans le contexte de concurrence internationale féroce dans lequel la Suisse évolue. Les secteurs à haute valeur ajoutée tels que la haute technologie et l’industrie pharmaceutique seraient fortement désavantagés et pourraient envisager une délocalisation afin de bénéficier de conditions cadre plus favorables. Dès lors, accompagner la mise en place de la 5G avec un suivi rigoureux et un approfondissement de son impact devrait être une priorité pour le Gouvernement.

Bien que des inquiétudes vis-à-vis de la 5G soient tout à fait compréhensibles, il paraît indispensable de prendre en considération les probabilités d’un risque réel pour la santé. Les experts suisses s’accordent sur l’absence de preuves scientifiques sur l’éventuelle nocivité d’une augmentation du seuil de rayonnement. Le principe de précaution ne doit pas être balayé, mais une pesée d’intérêts doit être effectuée. Il faut pour ce faire prendre en compte la très faible probabilité d’un risque réel en vertu des connaissances actuelles. Il s’agit également de tenter de se dégager du champ émotionnel dans lequel ce débat s’est empêtré et de revenir à une analyse rationnelle, au-delà de la foire d’empoigne entre réfractaires paranoïaques et progressistes béats.

 

[1] Office fédéral de l’environnement, « Téléphonie mobile et 5G : le Conseil fédéral décide de la suite de la procédure », 22 avril 2020, https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-78857.html

[2] Avenir Suisse, Ce qu’un moratoire sur la 5G signifierait pour la Suisse, Jürg Müller et Basil Ammann, avril 2020, https://www.avenir-suisse.ch/fr/publication/ce-quun-moratoire-sur-la-5g-signifierait-pour-la-suisse/

[3] Rapport « Téléphonie mobile et rayonnement », publié par le groupe de travail Téléphonie mobile et rayonnement sur mandat du DETEC, 18 novembre 2019, https://www.bafu.admin.ch/dam/bafu/fr/dokumente/elektrosmog/fachinfo-daten/bericht-mobilfunk-und-strahlung.pdf.download.pdf/Rapport_TelephonieMobile-Rayonnement.pdf

 

0 commentaire


Les commentaires sont modérés avant d'être publiés