Battons-nous pour les bilatérales, en danger d’extinction !
Après un rappel historique le mois dernier, le CCIGinfo consacre le dossier aux arguments contre l’initiative anti-bilatérales soumis au vote des Suisses le 17 mai prochain. Un refus s’impose impérativement.
Sous ses intitulés anodins, l’initiative « pour une immigration modérée » (ou de limitation) est une bombe en puissance. Premièrement, elle voudrait supprimer l’accord sur la libre circulation des personnes avec l’Union européenne (UE) et l’Association Européenne de libre-échange (AELE). Or, non seulement il constitue la pierre angulaire des bilatérales 1, mais, en vertu de la clause guillotine, son retrait entraînerait la fin des six autres accords dans un délai de douze mois ! Deuxièmement, l’initiative inscrirait dans la Constitution que la Suisse ne pourra plus jamais conclure un accord octroyant des droits de libre-circulation à des étrangers. En fait, elle dénonce un dispositif efficace sans apporter d’avantages, ni proposer d’alternative valable.
Pour rappel, la libre-circulation des personnes permet par exemple à une entreprise industrielle de recruter la main d’œuvre qualifiée dont elle a besoin pour produire ses outils. A l’inverse, un fabricant de machines-outils peut envoyer ses collaborateurs assurer une maintenance auprès de clients européens sans tracasserie administrative.
Une interdépendance incontestable
Plus encore que la Grande-Bretagne, sortie de l’UE le 31 janvier dernier, la Suisse est dépendante du reste du monde, a fortiori de l’UE (52% des exportations). Dépourvue de matières premières, elle a bâti son économie sur des exportations liées à son savoir-faire. Une ouverture qui lui a permis de tisser des liens uniques avec les plus grandes puissances mondiales. Sans relations institutionnelles stables avec l’Europe, qui lui assurent un accès à une foule de marchés, elle devrait se retourner vers l’Asie (22% des exportations) ou l’Amérique du Nord (18%), d’ailleurs en perte de vitesse.
En cas de oui, les effets sur le marché du travail helvétique seraient désastreux à terme. Des centaines de milliers d’emplois dépendent des bilatérales, y compris dans les régions les plus reculées. La plupart d’entre eux ont été créés grâce à la prospérité insufflée par ces accords.
Des effets en cascade
Il y a juste 20 ans, plus de deux tiers des Suisses acceptaient les bilatérales 1. Cette voie est une solution sur mesure, longuement négociée, qui a permis d’éviter l’adhésion à l’UE. Il serait suicidaire de détricoter un processus qui a largement fait ses preuves. Hormis l’accord sur les personnes, les six autres bilatérales concernent l’agriculture, les obstacles techniques au commerce, les transports terrestres (voir premier témoignage ci-après), le transport aérien (voir deuxième témoignage ci-après), les marchés publics et la recherche. Rien que sur ce dernier volet, la recherche et l’innovation ont enregistré un gain d’efficacité de 20% et créé une valeur ajoutée dépassant 2 milliards de francs par an !
Grâce aux bilatérales dans leur ensemble, les revenus par an et par habitant sont jusqu’à 4400 francs supérieurs à ce qu’ils seraient sans elles, ont calculé des experts. Si les accords de Schengen/Dublin (qui facilitent les voyages entre la Suisse et l’UE grâce à la suppression des contrôles aux frontières) ne sont pas directement liés aux bilatérales 1, ils vont de pair avec la libre-circulation des personnes ; leur avenir serait sans doute compromis par l’acceptation de ladite initiative.
L’accord-cadre en toile de fond
Autre objet négocié actuellement avec Bruxelles : l’accord-cadre institutionnel, indispensable à la prospérité de la Suisse et qu’un oui le 17 mai mettrait à mal. Lors d’un récent événement organisé à la HEG-Genève, economiesuisse avait déjà clairement plaidé en faveur des actuelles relations européennes. Comme l’avait dit sa directrice Cristina Gaggini, « la Suisse est petite, mais costaude, disposant des ressources de ses cerveaux. Cependant, le marché intérieur est trop étroit, l’accès à l’Europe est donc indispensable. Ce qui compte, ce sont les échanges facilités, pas forcément une union politique ». Lors de cette conférence, le conseiller d’Etat MCG Mauro Poggia avait lui-même plaidé « pour une acceptation des bilatérales ».
En conclusion, même si la Suisse parvenait à conclure un accord de libre-échange étendu avec Bruxelles, celui-ci n’offrirait jamais à ses entreprises un débouché européen aussi idéal que les bilatérales. « L’abandon du premier paquet d’accords pourrait coûter de 460 à 630 milliards de francs en 20 ans à la Suisse », a rappelé la conseillère fédérale Karine Keller-Sutter en lançant la campagne officielle le 11 février contre l’initiative. Ne l’oublions pas au moment de glisser son bulletin dans l’urne le 17 mai.
Les cinq raisons de dire non
Il existe cinq raisons essentielles pour refuser l’initiative de limitation :
- Elle torpille définitivement les accords bilatéraux. Elle ne laisserait que très peu de temps à la Suisse pour négocier sa sortie des bilatérales (12 mois pour négocier la fin de libre-circulation des personnes et 30 jours pour dénoncer l’accord, en cas d’échec).
- Elle ne propose aucun plan B aux accords. Elle aboutirait à une solution quasi inextricable et préjudiciable pour chacune des parties prenantes. Ni la voie de l’adhésion à l’UE, de l’EEE, de la voie solitaire ne recueille d’avis majoritaires favorables.
- Elle plonge la Suisse dans une longue période d’incertitudes. Elle survient dans un contexte tendu pour le commerce international (regain de protectionnisme) et fermerait le principal marché de la Suisse qui lui assure une stabilité.
- Elle fait perdre à la Suisse des avantages essentiels. Elle couperait une source de prospérité sans égal pour la Suisse, que personne n’a intérêt à tarir. Et ceci tant sur le plan de la prospérité, de l’emploi que des finances publiques.
- Elle prive les Suisses de leurs libertés. Elle serait un frein indéniable à la liberté de mouvement des Helvètes et inversement, qu’il s’agisse de semestres d’échange pour les étudiants ou de voyages d’affaires. 460 000 citoyens helvétiques vivaient sur sol européen en 2018.
Deux Membres de la CCIG témoignent
Isabelle Harsch, directrice de l’entreprise Harsch Transports
Les accords bilatéraux ont œuvré au boom de notre entreprise familiale, créée dans les années 50 et aujourd’hui au chiffre d’affaires de plus de 20 millions de francs. Une partie de nos 130 collaborateurs est constituée de ressortissants européens, notamment les chauffeurs poids lourds. Si la libre-circulation des personnes devait tomber, cela aurait inévitablement un impact à la hausse sur les prix, car on manquerait de ressources pour réaliser nos opérations et cela renchérirait considérablement le coût du travail. Même en nous diversifiant et en apportant un service de qualité, cela ne suffirait pas à nous démarquer. La concurrence est très féroce dans le transport de marchandises, où l’on doit rester assez gros pour pouvoir exister. Or, si l’initiative passait, nous devrions redimensionner toutes les activités. Nous faisons actuellement une « navette » hebdomadaire entre Genève et Paris, qui serait compliquée à maintenir. Au niveau macroéconomique, toute l’économie serait impactée, et cela aurait aussi des effets indirects pour nous. Les bilatérales constituent la meilleure solution pour les échanges commerciaux, ce que même la Grande-Bretagne n’a pas obtenu à ce jour de la part de l’Union européenne. On peut ne pas scier la branche sur laquelle on est assis, l’enjeu est trop grand.
Lorenzo Stoll, directeur de Swiss à Genève
Swiss se donne pour mission de connecter notre pays au monde entier. Pour atteindre cet objectif, elle investit des milliards de francs dans le renouvellement de sa flotte, l’extension de son réseau de destinations et ses collaborateurs. Avec la mise en service de deux Boeing 777 supplémentaires en 2020, la compagnie va créer près de 600 nouvelles places de travail en Suisse. Le marché du travail dans le pays est trop petit pour couvrir nos besoins sur certains types de profils, tels que les pilotes. Une limitation de l’accès au marché du travail européen aurait de graves conséquences pour Swiss, non seulement pour trouver les talents nécessaires à notre fonctionnement, mais aussi sur notre modèle d’affaires.
Cette initiative risque aussi de remettre en question les accords aériens contenus dans les bilatérales. Elle aurait comme impact presque immédiat une diminution drastique des liaisons offertes par Swiss en Europe et, par conséquent, sur notre réseau intercontinental, qui se verrait fortement réduit. Cette réduction entraînant de facto une réduction de la connexion de la Suisse au monde et une restructuration à la baisse de la compagnie.
Si nous voulons continuer à jouer notre rôle, nous devons disposer d’un cadre politique et législatif ouvert et stable. L’initiative de limitation représente un vrai risque pour Swiss, mais aussi pour toute l’économie helvétique.
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