Des négociations complexes mais essentielles pour le pays
L’Accord sur le commerce des services (Trade in Services Agreement, TiSA), en cours de négociation, suscite un débat public centré sur la pérennité des services publics. Qu’en est-il exactement de ces négociations et quelle est la portée de cet accord? L’ambassadeur Remigi Winzap, en charge des négociations, nous éclaire.
L’Accord sur le commerce des services (en anglais Trade in Services Agreement, TiSA), en cours de négociation, suscite un débat public centré sur la pérennité des services publics. Qu’en est-il exactement de ces négociations et quelle est la portée de cet accord ? L’ambassadeur Remigi Winzap, en charge des négociations, nous éclaire.
En 2013, la Suisse exportait des services pour un montant de 90 milliards de francs, contre 50 milliards d’importations. Les services contribuent d’ailleurs à hauteur de 70% au PIB. « La Suisse a tout intérêt à ce qu’il existe des règles globales, car pour un pays de taille modeste comme le nôtre, un système de droit est préférable à un système basé sur la loi du plus fort », résume l’ambassadeur Remigi Winzap, représentant permanent de la Suisse près de l’OMC et de l’AELE.
L’étendue des engagements des parties dans le cadre du TiSA sont fixés dans les listes nationales. Autrement dit, les parties définissent elles-mêmes les engagements qu’elles sont prêtes à contracter, en indiquant les secteurs dans lesquels elles accordent l’accès au marché et le traitement national aux prestataires de services étrangers. « Il s’agit d’améliorer les conditions pour les entreprises exportatrices suisses là où c’est possible », explique l’ambassadeur Winzap. « Là où aujourd’hui déjà il n’existe pas de discrimination, ces accords ne changeront rien ».
La Suisse a fait une offre identique à celle avancée lors des négociations dans le cadre du cycle de Doha de l’OMC et aux engagements contractés dans le cadre d’accords de libre-échange existants. Cela signifie que la Suisse n’offre pas de concessions concernent notamment l’instruction publique et la santé, l’approvisionnement en énergie (p. ex. en électricité), les transports publics et les services postaux. En outre, pour aucune des propositions formulées, une modification des lois suisses ne serait nécessaire. Ainsi, il n’y a aucun engagement qui concerne ses services publics ou son régime de subventions, et la Suisse n’exige pas non plus le démantèlement des services publics de ses partenaires, rappelle l’ambassadeur.
Qu’est-ce que le commerce de services ?
Le commerce des services international se décline en quatre possibilités (appelés « modes »), en fonction de la présence territoriale du fournisseur et du consommateur au moment de la transaction. Les négociations portent sur la fourniture d’un service :
1. en provenance du territoire d’un pays participant au TiSA et à destination du territoire de tout autre pays participant (Mode 1 — Commerce transfrontières). Exemple : Un utilisateur reçoit des services de l’étranger à travers son infrastructure de télécommunications ou postale. Ces fournitures peuvent inclure des rapports de consultants ou des études de marché, des conseils de télémédecine, une formation à distance ou des plans architecturaux ;
2. sur le territoire d’un pays participant à l’intention d’un consommateur de services de tout autre pays participant (Mode 2 — Consommation à l’étranger). Exemple : Des ressortissants suisses se rendent à l’étranger en tant que touristes, étudiants ou patients pour consommer des services ;
3. par un fournisseur de services d’un pays participant grâce à une présence commerciale sur le territoire de tout autre pays participant (Mode 3 — Présence commerciale). Exemple : Le service est fourni en Suisse par une filiale, une succursale ou un bureau de représentation appartenant à une société étrangère (filiale de banque, d’un groupe hôtelier ou d’une société de construction, etc.) ; et
4. par un fournisseur de services d’un pays participant, grâce à la présence de personnes physiques sur le territoire de tout autre pays participant (Mode 4 — Présence de personnes physiques). Exemple : Un Suisse fournit un service à l’étranger en tant que fournisseur indépendant (consultant, installateur, etc.) ou salarié d’un fournisseur de services (bureau de consultants, hôpital, société de construction, etc.).
Ne pas se tromper de débat
TiSA est utilisé, notamment en Suisse, pour mener un débat de politique interne sur le thème « quels services publics et à quel coût ? » Les détracteurs du TiSA, souligne l’ambassadeur Winzap, imitent le débat américain tout en en dénonçant une mainmise des Etats-Unis sur le commerce mondial. Car si la Suisse informe de façon proactive sur ces négociations, au plan tant des instances parlementaires fédérales que du grand public et rend publiques ses soumissions, la situation est différente p.ex. aux Etats-Unis, où tous les documents demeurent secrets pendant plusieurs années.
« La Suisse a un intérêt systémique à participer aux négociations sur TiSA : étant un pays de taille modeste, il est indésirable de commercer avec de grandes puissances, telles que l’UE et les USA en l’absence d’un cadre de droit international solide. Dans ces négociations, il s’agit de limiter les obstacles et discriminations et non de rechercher l’ouverture à tout crin. L’objectif est de se donner mutuellement le meilleur des accords de libre-échange, ce que les anglo-saxons appellent le level playing field, un terrain de jeu équitable. »
Sécurité juridique plutôt que nouveaux marchés
On l’aura compris, le principal avantage d’un accord sur le commerce des services serait de conférer une sécurité juridique aux transactions qui, bien souvent, existent déjà en pratique.
De fait, le travail effectué à l’OMC consiste désormais moins à ouvrir l’accès à de nouveaux marchés qu’à combattre un retour du protectionnisme. « La force de cette organisation », commente l’ambassadeur Winzap, « est de créer des règles valables pour tous, telles que les règles anti-dumping. L’émergence de méga-régions au travers d’accords tels que ceux liant les Etats-Unis à l’Union européenne ou le Trans-Pacific Partnership (TPP) constituent un défi pour la Suisse puisqu’elle n’en fait pas partie. »
« Les négociations sont en outre compliquées par la multiplication des Accords de libre-échange (ALE), car ils comprennent un volet concernant les services, souvent avec des règles divergentes. L’accord TiSA permettrait de limiter les conséquences négatives de la multiplication des ALE. De même, la Suisse pourra mettre sur une base légale solide le commerce des services avec des partenaires importants avec lesquels elle ne dispose pas encore d’un ALE sur les services. Ceci est le cas notamment pour l’UE, les USA ou encore l’Australie.
20 ans de négociation et ce n’est pas fini…
En 1995, un accord sur les services, le GATS (General Agreement on Trade in Services – en français AGCS, Accord général sur le commerce des services), a été intégré au système de commerce multilatéral. Il était convenu que des négociations pour le mettre à jour et l’adapter aient lieu tous les cinq ans au sein de l’OMC. De nouvelles négociations sur le GATS ont ainsi été lancées en 2000, puis intégrées au cycle de Doha en 2001. Le cycle de Doha n’ayant pas été conclu après dix ans de négociations, il a été décidé en 2011 de chercher de nouvelles voies pour faire avancer les négociations bloquées. C’est ainsi qu’un groupe de pays a décidé de négocier un accord plurilatéral sur les services, en dehors de l’OMC, en vue de l’intégrer par la suite dans le cadre de cette organisation. Les négociations TiSA s’étendent actuellement à 51 pays*, dont de nombreux pays du sud.
Les étapes de la négociation
La première étape est, pour les parties, de parvenir à un accord-cadre. Cette étape est en grande partie réalisée, car il s’agit essentiellement d’une reprise du GATS.
La seconde consiste à définir des annexes sectorielles ou thématiques dont l'amplitude est difficile à anticiper pour l'instant. Des propositions concernant les sujets suivants ont été reçues pour l’instant : les services financiers, les services de télécommunication, le commerce électronique, les divers modes de transport et les services de logistique, les services postaux, les services d'énergie, les achats publics, les professions libérales (professional services), les subventions à l'exportation.
Enfin, la troisième étape est constituée par la soumission de listes d'engagements par pays pour l'accès aux marchés et le traitement national. La Suisse a déjà soumis sa première liste, susceptible de modification. Pour l’ambassadeur Winzap, il est peu probable que les négociations se terminent en 2015 ; au mieux, elles aboutiront en 2016.
Site seco : www.seco.admin.ch/themen/00513/00586/04996/index.html?lang=fr
*Australie, Canada, Chili, Colombie, Corée, Costa Rica, Etats-Unis, Hong Kong, Islande, Israël, Japon, Liechtenstein, Mexique, Norvège, Nouvelle-Zélande, Pakistan, Panama, Paraguay, Pérou, Suisse, Taïwan, Turquie, Uruguay ainsi que l’UE.
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