Recherche et formation : pertes financières à prévoir
La votation du 9 février dernier sur l'immigration remet en question la participation de la Suisse au programme de recherche de l’Union européenne (UE) et à Erasmus+. Ceci aura des conséquences importantes tant en termes d’innovation que de ressources financières.
160 millions de pertes directes
Lors du 7e programme-cadre de recherche (FP7) de l’UE (2007-2013), la part de subsides européens obtenus par les chercheurs suisses a été supérieure à la contribution de la Suisse. Chaque franc investi a rapporté à la Suisse 1,5 franc par la participation à plus de 2600 projets, dont deux tiers émanaient des Hautes écoles et un tiers de l’industrie. A noter que l’Université de Genève (UNIGE) totalise 250 participations aux projets de l’UE, dont 19 coordinations de projets au niveau suisse et 35 bourses du European Research Council (ERC), un indicateur d’excellence au niveau international. Sur la période du FP7, cela correspond à un montant d’environ 160 millions de francs, dont 60 millions pour les bourses ERC, qui ont permis la création de 220 emplois de chercheurs.
« Il faut comprendre que, suite au vote du 9 février, la Suisse n’est plus considérée comme pays associé, comme le sont la Norvège ou l’Islande, mais comme pays tiers industrialisé, comme les Etats-Unis », explique Laure Ognois, directrice du Secteur Recherche de l’UNIGE. « Concrètement, cela signifie que, s’agissant des projets collaboratifs, les partenaires suisses ne sont pas éligibles pour un financement de l’UE dans le cadre d’Horizon 2020 : les participations suisses acceptées seront en principe financées par la Confédération. Quant aux projets individuels, les participations suisses, notamment aux bourses d’excellence ERC, sont exclues. Une solution transitoire repose sur l’allocation de bourses de remplacement par le Fonds National Suisse. Mais celles-ci sont de bien moindre importance. En outre, une bourse ERC reste un trophée qui ouvre des portes scientifiques et des carrières sans commune mesure avec une bourse nationale, aussi bien dotée soit-elle. Dans l’hypothèse où la Suisse ne recouvre pas son statut de pays associé, pour l’UNIGE, cela se traduira à terme par trois diminutions. Tout d’abord, une diminution de 40 % du nombre des projets soutenus, soit de 140 projets FP7 actuels à 85 projets Horizon 2020. Ensuite, une diminution de 60 % des budgets des fonds de recherche européens, de 90 millions d’euros actuellement à 37 millions. Enfin, une baisse de 50 % des subsides reçus par l’Université, de 28 millions de francs en 2014 à 14 millions en 2020. »
Horizon 2020, le 8e programme-cadre de recherche et d’innovation de l’UE (2014-2020), réunit sous le même toit tous les programmes et initiatives actuels de l'UE dans le domaine de la recherche et de l'innovation. Doté de 80 milliards d’euros de fonds publics disponibles pendant sept ans (2014 à 2020), il vise à soutenir la recherche et l’innovation, facteurs de croissance économique et d’emplois nouveaux sur le territoire de l’UE. Le programme est composé d’une multitude d’appels à projet répartis entre trois grandes thématiques : l’excellence scientifique (accent sur la recherche fondamentale), le leadership industriel (technologies industrielles clés telles que les TIC, la nanotechnologie, la biotechnologie et l’espace) et les défis sociétaux (santé, sécurité alimentaire, énergie, transport, climat, etc.)
Les chercheurs ont commencé à partir
La recherche de haut niveau ne se conçoit aujourd’hui qu’à travers un réseau de collaborations internationales. Un accès limité aux grands programmes internationaux, principalement européens, pourrait avoir comme conséquence la mise en péril des groupes de recherche de l’Université, voire l’exil des chercheurs de renommée mondiale pour d’autres institutions universitaires leur offrant de meilleures conditions et moyens de recherche. « L’UNIGE en fait déjà le constat », dit Laure Ognois. « Suite à l’appel à projets de l’ERC pour l’attribution de bourses pour jeunes chercheurs en mars dernier, quatre chercheurs sur douze ont quitté l’UNIGE et ont postulé aux ERC starting grants depuis une autre université européenne. S’agissant des bourses d’excellence ERC, à notre connaissance au moins deux chercheurs étrangers ont renoncé à s’installer chez nous, car ils ne pouvaient plus soumettre des projets en vue d’obtenir ces bourses. Enfin, lors des appels à projets de mars et avril, quatre de nos professeurs ont été exclus des consortia européens, car ils ne pouvaient pas garantir que Berne prendrait en charge les frais relatifs à leurs projets. »
Dans le cadre de ces programmes, nombreux sont les projets qui misent sur une collaboration entre Hautes écoles et entreprises. La mise à l’écart de la Suisse déploierait ainsi des conséquences directes pour le tissu industriel et les PME, créant ainsi un effet « boule de neige » redoutable pour le système de recherche et d’innovation tant national que cantonal.
Collaborations UNIGE – Entreprises
Le programme FP7 a généré de nombreuses collaborations entre l’UNIGE et des entreprises de la place. En voici quelques exemples :
- Q-ESSENCE, recherche sur les interfaces quantiques débouchant sur des applications dans le domaine des technologies de l’information et de la communication, en collaboration avec ID QUANTIQUE SA
- SERVIVE, portant sur la mode en 3D et la customisation de masse, a impliqué l’une des spin-offs de l’UNIGE, DIGITAL HUMANS Sàrl
- OxIDes, dans le domaine des nanotechnologies, a également impliqué une spin-off de l’UNIGE, Phasis Sàrl.
Retombées cantonales
Un affaiblissement des institutions d’enseignement et de recherche genevois aura également un impact direct sur le tissu économique local. En 2012, la CCIG s’était déjà penchée sur le poids économique du secteur de la formation à Genève (Genève : un pôle de formation tourné vers l’économie ?, Novembre 2012, disponible sur le site web de la CCIG). La seule formation post-obligatoire (publique et privée) représentait alors 1,5 milliard de francs de dépenses directes, soit près de 3,5 % du PIB cantonal. Et c’est un secteur qui a témoigné d’un constant développement : entre 2005 et 2008, le nombre total d’emplois dans l’enseignement (tous niveaux confondus) a augmenté de 11,3 %, pour s’établir à près de 20 000.
S’agissant spécifiquement de l’Université de Genève, celle-ci occupe quelque 4000 personnes, soit autant que Rolex, premier employeur privé du canton. Ses 721 millions de francs de dépenses, pour l’achat de biens et services et la rémunération du personnel, engendrent, dans le canton, des effets directs et indirects qui, cumulés, sont à l’origine d’une valeur ajoutée totale de près de 1 milliard de francs.
Etudiants étrangers : des forces vives
Incontestablement, la richesse et la variété des formations offertes est l’une des grandes forces de Genève. La combinaison, peu connue ailleurs, de trois éléments : formations duales ou à plein temps, trois filières (gymnasiale, professionnelle et culture générale) ainsi que nombreuses passerelles existant vers les formations supérieures, est un facteur du succès de l’enseignement genevois. Cela se traduit notamment par une forte présence d’étudiants étrangers. En moyenne 55 % des étudiants (tous ordres d’enseignement confondus) sont étrangers et cette proportion atteint 80 % dans les Hautes écoles spécialisées, qui proposent des formations tertiaires uniques à l’échelle régionale.Plus spécifiquement, les programmes de masters et doctorats permettent d’intéresser à la carrière académique et de chercheur les étudiants les plus brillants. L’émulation et la richesse qui résultent d’une population étudiante d’origine diversifiée garantit la qualité de la formation reconnue comme telle par l’ensemble des organismes d’accréditation suisses et internationaux.
Au niveau du personnel, 32 % du personnel enseignant et de recherche de l’Université de Genève vient de pays étrangers. Le contingentement annoncé à la suite de la votation du 9 février dernier risque de limiter l’attractivité de la Suisse pour les enseignants et professeurs qui font actuellement la réputation de l’Institution genevoise. Or, ce caractère international contribue largement à sa vitalité scientifique, qui lui vaut aujourd’hui de figurer parmi le 1 % des meilleures universités du monde.
A côté des collaborations entre monde académique et entreprises privées mentionné plus haut, l’Université dispose également d’un bureau de transfert de technologies et de compétences, UNITEC. Celui-ci gère plus particulièrement le processus qui aboutit à la création d’une spin-off, ainsi que les questions de brevets et de propriété intellectuelle inhérentes au transfert de technologie. La CCIG est représentée au sein du Conseil UNITEC par Eric Biesel, membre de la Direction.
Il faut espérer que l’accord trouvé fin avril avec l’Union européenne concernant la Croatie permettra rapidement à la Suisse de réintégrer les programmes de recherche européens, ainsi qu’Erasmus+, qui a déjà permis à trois millions d'étudiants de participer à des échanges universitaires entre pays.
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