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Transition énergétique: les leçons à tirer de l’expérience allemande

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Posté le 24/04/2014
Articles de fond

La transition énergétique allemande, ou « Energiewende », est sans conteste un des enjeux actuels majeurs en matière énergétique sur le continent européen. Amorcée il y a déjà plusieurs années, l’Energiewende a connu un regain de publicité, en même temps qu’un coup d’accélérateur, après l’accident nucléaire de Fukushima en mars 2011. Dans les mois qui ont suivi celui-ci en effet, l’Allemagne a décidé de procéder à une sortie accélérée de l’énergie nucléaire, décision considérée comme pionnière en Europe.

 

En Suisse, ces développements ont été suivis avec attention par le Conseil fédéral. Ce dernier a décidé dans un premier temps de geler les procédures en cours en vue du renouvellement du parc de centrales nucléaires du pays, avant d’annoncer à son tour, en mai 2011, l’abandon progressif de l’énergie nucléaire et une réorientation de sa stratégie énergétique.

 

Trois ans après les faits, il paraît opportun de faire le point sur les développements entourant l’Energiewende. Si, en Suisse, la Stratégie énergétique 2050 est encore en cours de traitement par le Parlement fédéral, la transition énergétique allemande est en effet déjà bien avancée. L’expérience de l’Allemagne est riche d’enseignements et permet de juger des défis posés par une politique volontariste de transition énergétique.

 

Historique de l’Energiewende

Contrairement à une idée répandue, la transition énergétique allemande et la sortie du nucléaire n’ont pas été décidées à cause de l’accident nucléaire de Fukushima. La sortie du nucléaire en tant que telle était déjà décidée au début des années 2000. Ensuite, fin 2010, le gouvernement fédéral a publié son « Energiekonzept für eine umweltschonende, zuverlässige und bezahlbare Energieversorgung », concept que l’on peut qualifier d’équivalent allemand à la Stratégie énergétique 2050 du Conseil fédéral. Les grandes lignes de la politique énergétique visée par l’Allemagne à l’horizon 2050 y sont présentées et le renoncement à l’énergie nucléaire confirmé. Cependant, le gouvernement y proposait de rallonger la durée de vie de son parc de centrales nucléaires afin d’accompagner la transition. Dernier épisode, en juin 2011, après les évènements au Japon, le gouvernement fait machine arrière et décide d’accélérer la sortie du nucléaire. La dernière centrale du pays est désormais appelée à fermer ses portes en 2022 au plus tard.

 

Des objectifs ambitieux

Comme dans le cas de la Stratégie énergétique suisse, le concept énergétique allemand ne se limite pas à une stratégie de production d’électricité sans énergie nucléaire. Au contraire, c’est d’une réorientation radicale du système énergétique dont il s’agit. L’objectif est de réduire fortement les émissions de CO2 et d’augmenter la part des énergies renouvelables dans la consommation. Et l’Allemagne ne manque pas d’ambition : elle entend faire baisser les émissions de gaz à effet de serre de 80 % d’ici 2050 par rapport à leur niveau de 1990. En ce qui concerne l’électricité, la part des énergies renouvelables est appelée à passer d’un peu moins de 25 % aujourd’hui à 55 %-60 % d’ici 2035.

 

Un développement impressionnant des capacités renouvelables

Le signe le plus parlant de la transition énergétique allemande est le développement impressionnant des énergies renouvelables dans la production d’électricité par rapport à la consommation: de 3% en 1990 à 22% en 2012.

 

Cependant, la hausse des capacités renouvelables n’implique pas une baisse équivalente des capacités de production fossiles que sont le charbon et le gaz. Cet apparent paradoxe s’explique par la nécessité de conserver des capacités de production permettant de pallier l’instabilité de la production d’électricité renouvelable. En effet, cette dernière se caractérise par des pics et des creux de production tributaires des conditions météorologiques, contrairement aux centrales classiques qui peuvent produire « à la demande ». Mais que l’on ne s’y trompe pas, la part de l’énergie renouvelable dans la consommation finale progresse bel et bien :

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Une transition qui a un coût

Le consommateur allemand finance à grands frais la transition énergétique. Le subventionnement des énergies renouvelable pèse en effet lourdement sur la facture d’électricité des ménages. L’augmentation du prix de l’électricité en Allemagne ces dernières années est d’ailleurs principalement due à la forte augmentation des taxes.

 

Le débat sur les coûts de l’énergie pour les ménages et la soutenabilité financière du tournant énergétique figurent au centre des débats sur l’Energiewende. L’Allemagne connaît ainsi un des prix de l’électricité le plus élevé pour les ménages, juste après le Danemark.

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Liée à la question du prix, celle du subventionnement des énergies renouvelables se pose également. La loi allemande (« Erneuerbare Energien Gesetz » ou EEG) impose une priorité d’injection sur le réseau et une rémunération du courant produit par un tarif d’achat fixé sur le long terme. Ce dispositif s’est révélé très efficace pour attirer les investisseurs dans les énergies renouvelables, mais trop pesant pour le consommateur privé, qui finance le processus via sa facture d’électricité. Afin de pérenniser le soutien populaire à l’Energiewende, des réformes de la loi EEG sont annoncées.

 

A noter que cette situation de prix croissant ne se retrouve pas sur le marché de gros. En effet, le gestionnaire du réseau allemand devant acheter la production renouvelable, au tarif d’achat garanti, on assiste à une baisse tendancielle des prix sur le marché de gros due au fait que, afin d’être assuré de vendre cette énergie, le gestionnaire sera parfois contraint de la vendre à un prix inférieur. Cette situation n’est d’ailleurs pas sans inquiéter les producteurs des pays voisins de l’Allemagne.

 

Enfin, et c’est là une mesure qu’il faut saluer, l’Allemagne a prévu des taux plus bas pour les entreprises manufacturières. Certes, le consommateur privé peut trouver cela injuste, mais le maintien de la compétitivité de l’industrie allemande est à ce prix. C’est là aussi une observation que la Suisse devrait faire à l’heure de l’élaboration de la Stratégie énergétique 2050.

 

Un réseau à adapter

Autre défi important qu’induit le recours accru aux énergies renouvelables : la nécessité d’adapter le réseau en conséquence. La tâche n’est pas mince. Pour commencer, l’Allemagne est confrontée à la nécessité de transporter l’électricité produite au nord du pays par l’important parc éolien qui y est installé jusqu’au sud et à l’ouest du pays, où la demande et les capacités de production industrielles sont majoritairement concentrées. Contrairement à une production d’électricité conventionnelle, qui permet de placer les capacités de production à proximité des centres de demande, les capacités de production d’énergie renouvelable doivent être placées où leur potentiel est le plus important.

 

Ensuite, l’irrégularité des injections d’électricité d’origine renouvelable contribue à mettre le réseau sous pression. Il s’en suit que des capacités de transport massives doivent être mises en place. La construction de milliers de kilomètres de lignes supplémentaires devra être entreprise dans les années à venir. A plus long terme, un développement des technologies de stockage de l’énergie et des solutions de type « smart grids » seront nécessaires.

 

Conclusion : un bilan contrasté

Pour impressionnante qu’elle soit, la transition énergétique allemande n’en est donc pas moins porteuse de paradoxes et de défis à relever. Premièrement, la refonte totale du système énergétique du pays induit des coûts importants pour le consommateur et rend nécessaire d’importants investissements dans un réseau électrique passablement déséquilibré par le soudain raccordement de gigantesques capacités de production d’énergie renouvelable.

 

Second paradoxe, si la sortie du nucléaire est une chose entendue, le remplacement des capacités supprimées ne se fera pas, du moins dans un premier temps, par le seul recours aux énergies renouvelables. Bien au contraire, les sources d’énergie fossile sont appelées à jouer un rôle central dans le mix énergétique allemand des années à venir. La Suisse, qui souhaite remplacer sa production nucléaire par « autre chose » mais sans augmenter son bilan CO2 (déjà parmi les meilleurs d’Europe), devrait se montrer pragmatique et envisager le recours à des centrales à gaz de dernière génération pendant une période de transition.

 

Enfin, des doutes se font jour autour de la capacité des énergies renouvelables à pallier la baisse accélérée de la production d’origine nucléaire dans les années à venir. L’avenir nous dira si l’Allemagne a réussi son pari (et à quel prix pour le consommateur) ou si le tournant énergétique allemand se fera par une augmentation de la production électrique avec du charbon et du gaz. Au vu des similitudes entre l’Energiewende allemande et la Stratégie 2050 suisse, gageons que la Suisse observera avec intérêt les développements au sein de son grand voisin du nord.

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