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Recherche main-d’oeuvre qualifiée désespérément !

CCIG
Posté le 15/10/2018
Articles de fond

La pénurie de main-d’œuvre qualifiée crée des tensions sur le marché de l'emploi national. Diverses pistes sont explorées par les entreprises et leurs fédérations, en particulier les « best practices », les formations spécifiques et la promotion indigène des métiers.

En matière de main-d’œuvre qualifiée, la Suisse est confrontée à une triple problématique : le vieillissement pousse à assurer la relève, le durcissement des lois sur l’immigration incite à avoir à disposition des Suisses qualifiés et la transformation digitale force les entreprises à s’adapter aux besoins technologiques. On estime que le nombre d’actifs passant à la retraite créera un écart défavorable de 400 000 personnes en 2030 par le seul effet du vieillissement. Et la récente étude de Manpower Suisse1, spécialiste du travail temporaire, n’est guère réconfortante. Un tiers des entreprises suisses ont des difficultés à pourvoir les postes vacants : « L'évolution démographique et un taux de chômage faible renforcent les difficultés de recrutement », commente son directeur général Leif Agnéus.

Les employeurs déplorent la carence de compétences techniques, d'expérience professionnelle et même le manque de candidats. Parmi les professions les plus recherchées figurent les ingénieurs, les électriciens, les ferblantiers et les mécaniciens. Cela concerne dans une moindre mesure des métiers moins qualifiés, ainsi que les cadres et chefs d’entreprise. Si les profils techniques sont particulièrement visés, nombre de recruteurs ne négligent pas la maîtrise de soft skills, ces compétences non techniques qui mettent en avant les aptitudes sociales de l’individu.

Des habitudes qui changent

L’ère du numérique modifie les règles du jeu et exige des approches plus rapides et ciblées. Aucun secteur n'y échappe vraiment. Le boom de l'e-commerce, par exemple, accroît les besoins en logistique et en service à la clientèle. Auparavant les patrons postaient des annonces, désormais ils s’adressent directement aux écoles pour dénicher les meilleurs éléments. Celles-ci proposent régulièrement des formations spécifiques pour s’adapter aux évolutions de l’économie. Mais les spécialistes fraîchement diplômés ne sont pas si nombreux, en particulier dans les secteurs IT, finance et ingénierie.

Inventés ou réinventés, les métiers de demain demanderont surtout des compétences nouvelles. La formation et la santé sont des domaines porteurs, sans oublier les cleantech qui répondent à l’intérêt actuel pour le recyclage et les économies d'énergie. A l’inverse, certains emplois verront leur nombre baisser drastiquement avec la numérisation, en particulier dans l’habillement et l’industrie manufacturière.

Un gros effort de promotion

La promotion de l’apprentissage est l’un des défis que mène à Genève l’Office pour l’orientation, la formation professionnelle et continue (OFPC). En attestent, entre autres, le programme Go-Apprentissage ou l'exposition cité-métiers.ch organisée en novembre à Palexpo. Pour son directeur de l’information Damien Berthod, la découverte et la valorisation de la formation professionnelle sont donc des objectifs fondamentaux : « Il existe des possibilités de se former et d'évoluer dans tous les secteurs d'activité, mais certains métiers souffrent toujours d'a priori négatifs. Notre but est de les faire mieux connaître aux jeunes, mais aussi aux enseignants et aux parents qui restent des prescripteurs essentiels. Cela passe notamment par des Zooms Métiers et Entreprises ou des recrutements en direct qui permettent aux candidats à l'apprentissage d'entrer en contact avec des formateurs potentiels. Il reste beaucoup à faire, mais on commence à voir évoluer les mentalités ».

 « La pénurie de main-d’œuvre qualifiée est une priorité que doivent empoigner les associations économiques », scande Marco Taddei, responsable romand de l’Union Patronale Suisse (UPS). Les réponses sont attendues à trois échelons : des mesures politiques fédérales, pratiques des corporations et spécifiques aux régions. A son niveau, l’UPS a adopté sa propre stratégie, relayant notamment les best practices de la plate-forme Compasso2. La Confédération, elle, a dressé ces dernières années un catalogue de 44 mesures. L’objectif est avant tout de cibler des catégories. Des efforts sont menés autant pour promouvoir les seniors, les personnes handicapées, les femmes, les jeunes sans formation que les résidents étrangers. « Mais il y a aussi un devoir de l’individu de se former tout au long de sa vie, l’entreprise venant seulement en subsidiarité » conclut M. Taddei.

Des Suisses trop généralistes

En première ligne de la pénurie de spécialistes, on trouve l’industrie des machines, des équipements électriques et des métaux. L’association faîtière Swissmem est déjà active à plusieurs niveaux pour inciter les entreprises à améliorer l’attractivité du secteur3. « Nous conseillons aux décideurs de s’inspirer des meilleures pratiques, de réaliser des mesures individuelles, d’investir constamment en ce sens et de favoriser l’échange inter-entreprises », souligne son responsable romand Philippe Cordonier. Le but est également de faire rester le collaborateur méritant à son poste, par exemple en l’aidant à concilier davantage vie professionnelle et familiale.

Autre domaine-clé, l’informatique. Les offres d’emploi y ont progressé en Suisse de 74% entre 2016 et 2017, indiquent les statistiques d’Adecco. Et une enquête de l’entreprise Réalise4 le confirme : dans ce créneau, 87% des entreprises sondées constatent une croissance des besoins de compétences. L’évolution technologique rend le codage et la production web davantage accessibles à des personnes peu ou pas diplômées, mais dotées d’une certaine habileté. On notera que cette société genevoise a développé un concept innovant de formation professionnelle.

Eric Sinot, qui se qualifie lui-même guide de montagnes informatiques, le ressent au quotidien en conseillant des PME romandes en cyber sécurité : « Au niveau informatique, l’arc lémanique est trop généraliste, pas assez pointu. Malgré une formation correcte, il manque clairement des compétences technologiques. Nos informaticiens ont toujours un temps de retard par manque de proactivité ou de possibilité d’évolution. L’économie les pousse plus vers le management que vers des métiers porteurs, à l’instar de développeur de logiciels ». C’est ce manque de spécialistes qui explique que les grandes entreprises engagent souvent des talents de l’Union européenne. C’est rarement parce qu’ils acceptent un salaire moindre que les Helvètes. Et, parfois, l’entrepreneur privilégie un candidat qui possède déjà une expérience pour qu’il soit opérationnel. « Le petit patron n’a ni le temps, ni la structure, ni les moyens financiers pour accueillir un jeune employé talentueux ! », poursuit Eric Sinot.

Des efforts mal récompensés

« La construction locale vit un dilemme frustrant : ses entreprises font des efforts de formation initiale et continue, mais beaucoup d’ouvriers s’en vont ailleurs », avoue Nicolas Rufener, secrétaire général de la Fédération des Métiers du Bâtiments (FMB) - Genève. « La pénurie vaut surtout dans les métiers techniques du second œuvre. Le canton dispose donc d’un potentiel de collaborateurs compétents, mais nos entreprises peinent à les valoriser et à décrocher des mandats. Parmi les préoccupations actuelles, l’attribution des marchés publics. Récemment, un gros projet est revenu à une société alémanique qui embauche des Polonais à des prix dérisoires. Difficile de régater dans un tel contexte ! J’attends de nos autorités politiques qu’elles se battent davantage pour défendre nos intérêts et valorisent les entreprises formatrices. Quant aux ordonnances de formation, elles ne sont pas toujours adaptées aux progrès technologiques ». Sur les chantiers, on verra en tout cas se multiplier des métiers tels que celui de BIM-manager (Building Information Modeling), qui s’aide de logiciels 3D pour modéliser les bâtiments.

Jérôme Chanton est le CEO de Kugler Bimetal, société offrant des solutions tribologiques (principe du frottement en mécanique) innovantes et d’excellence. « Sur 60 collaborateurs, je dispose de 80% de frontaliers français, affirme-t-il, surtout parmi les fondeurs. Ce n’est pas un choix actif, mais une simple réalité. Au niveau administratif, les profils qui nous manquent, ce sont quelques ingénieurs commerciaux qu’on recrute au sortir des études. Mais je n’ai eu qu’une seule réponse de la part des hautes écoles lémaniques ». Jérôme Chanton identifie cinq problèmes, à commencer par le cloisonnement des filières de formation et la concurrence d’entreprises du même secteur pour la même demande. Troisième écueil, l’image de marque pour le postulant : le nom du mastodonte ABB fait encore plus rêver que celui de la fonderie Kugler ! De plus, les candidats ont souvent des exigences strictes : ils veulent des horaires fixes et ne pas devoir se déplacer à l’étranger. Dernier constat : les chefs d’entreprise ne s’adaptent pas assez à certains candidats, restant figés sur des critères sans faire aucune concession.

Compétent, spécifique et en réseau

La Fondation Genevoise pour l’Innovation Technologique (FONGIT), incubateur de start-up sis à Plan-les-Ouates, a pour tâche de les accompagner pour qu’elles acquièrent un niveau d’excellence et une viabilité optimale. D’après son président Pierre Strübin, « il y a trois notions fondamentales à maîtriser pour un entrepreneur : avoir de bonnes compétences dans son domaine, un projet fortement différencié et un réseau ». Quand des entreprises délocalisent ou ferment à Genève, il est paradoxal que le recrutement soit compliqué, car des candidats sont alors sur le marché. « Le bon réflexe serait d’engager en priorité la main-d’œuvre sur territoire national, note Pierre Strübin, et de se tourner seulement ensuite vers des forces extérieures. On note toutefois que celles-ci restent en général en Suisse, contribuant d’ailleurs à l’excellence des sociétés helvétiques. Il faut aussi que les entreprises n’hésitent pas à bien rémunérer leurs ingénieurs diplômés compétents ».

*1 https://landing.manpower.ch/fr/penurie-de-talents-2018/

*2 https://www.compasso.ch/fr/f90000041.html

*3 https://tinyurl.com/swissmemqualifie

*4 https://www.realise.ch


Les membres CCIG engagent plutôt « local »

Dans sa 18e Enquête conjoncturelle de printemps6, la CCIG s’est intéressée à la main-d’œuvre étrangère. 69% des entreprises membres sondées comptent des collaborateurs issus de l’Union européenne, 14% hors UE. Dans le premier cas, c’est surtout l’absence de main-d’œuvre locale suffisante qui est mise en avant pour justifier ce choix (60% des répondants), suivie par une meilleure formation. Dans le deuxième cas, l’argument principal est également une main-d’œuvre locale insuffisante, mais de façon moindre (35%). 89% des répondants disent privilégier une main-d’œuvre résidente, contre 10% celle provenant de l’UE, surtout pour les métiers du primaire ou du secondaire.

*6 https://tinyurl.com/enquete18


Annonce aux ORP : une fausse bonne idée ?

Un paradoxe apparaît toutefois entre le constat général de pénurie et le taux de chômage élevé dans certains secteurs. D’ailleurs, depuis le 1er juillet dernier, les postes vacants des entreprises dont ce taux dépasse 8% doivent être annoncés en priorité dans les Offices régionaux de placement (ORP)7, qui en font profiter leurs candidats pendant cinq jours. Le seuil sera réduit à 5% d’ici à la fin 2019. Cela concerne notamment des domaines tels que l’hôtellerie-restauration, l’horlogerie ou la construction, dont le pourcentage de chômeurs se situe entre 7 et 10%. Un coup de pouce que des spécialistes jugent inutile ou du moins inadapté. La démarche a une approche forcément artificielle face aux besoins du marché. Et la méthode de calcul comprend d’innombrables sous-métiers, qui ne reflètent pas correctement l’entier de la branche.

« Les entreprises gardent un noyau dur de collaborateurs pour répondre aux appels d’offre, et font en parallèle appel aux agences de placement ou à des sous-traitants ». C’est ce qu’a expliqué récemment à la « Tribune de Genève » Charles Vinzio, directeur de l’Office cantonal de l’emploi.

*7 https://tinyurl.com/secoORP


L’appétence pour les métiers de bouche

Certains métiers moins technologiques que ceux précités ont aussi de la peine à trouver des spécialistes locaux, mais ne sont pas en manque de candidatures. C’est le cas de la chocolaterie de luxe. Philippe Auer, patron de la société éponyme de Rive, affirme ne pas avoir à effectuer de démarche particulière : « Je reçois spontanément un à deux CV par semaine de candidats, en général des frontaliers français, car il y a dans l’Hexagone une culture du métier qui a disparu à Genève. Dans notre canton, l’identité du chocolatier a fondu dès la fin des années 90 avec la disparition de l’association cantonale au profit de la faîtière romande. Parmi la dizaine d’artisans-chocolatiers, certains n’ont pas le temps de former de relève. Mais pour ces professions, la transmission du savoir-faire et d’une tradition est essentielle ».

Dans les métiers de bouche, la situation est encore plus délicate pour la boucherie-charcuterie qui connaît un déficit d’image. Pourtant, elle a de l’avenir avec le succès des services traiteurs et des fabrications artisanales. Mais seuls cinq contrats d’apprentissage ont été signés à Genève à la rentrée 2016, ce qui ne permettra pas d’assurer la relève, d’autant plus que les professionnels sont souvent proches de la retraite. Et quand un jeune est motivé à suivre cette voie, encore faut-il qu’un patron prenne le temps de le former.

 

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