Loi sur les marchés publics : Un enjeu de plusieurs milliards de francs
Les marchés publics suisses représentent un enjeu de taille pour les entreprises. Ceux-ci sont en effet estimés à quelque 40 milliards de francs par année. Ce printemps, le Conseil fédéral a mis en consultation un paquet législatif concernant les marchés publics de la Confédération. Cette consultation a suivi celle de fin 2014 concernant la révision de l’Accord intercantonal sur les marchés publics.
Pour des questions évidentes de transparence et de bonne gestion des deniers publics, les achats effectués par les autorités publiques doivent répondre à des procédures claires et transparentes qui les distinguent des achats effectués par des privés. Si, dans le cas d’une entreprise privée, le choix de privilégier tel ou tel fournisseur est une décision relevant de critères propres à l’entrepreneur, il en est bien évidemment autrement dès que l’acheteur est une autorité publique.
Pour les entreprises, les marchés publics représentent un enjeu très important. Selon les estimations de la Confédération, les paiements effectués en relation avec des marchés publics par les communes, les cantons et la Confédération se montent à quelque 40 milliards de francs par année[1]. En 2013, les services de l’administration fédérale ont acquis à eux seuls des biens et services pour plus de 5 milliards de francs.
Un cadre légal multicouches
Au plan international, la Suisse est soumise à l’accord sur les marchés publics (AMP) de l’OMC. L'objectif fondamental de l'AMP est l'ouverture mutuelle des marchés publics des parties contractantes. Cet accord, dont la première version est entrée en vigueur en janvier 1996. Adoptée en 2012 au terme d’un long processus, sa version révisée est entrée en vigueur en 2014.
Selon les estimations de l’OMC, l’AMP révisé ouvre des possibilités de marchés à hauteur de quelque 80 milliards de dollars et, pour les entreprises suisses, des marchés entièrement nouveaux tels que ceux des provinces canadiennes. Suite à l’adoption de ce nouvel accord, il appartient aux Etats signataires, dont la Suisse, d’adapter leur législation nationale en conséquence, exigence dont découlent deux procédures de consultation récemment conduites au niveau de la Confédération, d’une part, et des cantons, d’autre part.
En Suisse, la législation s’appliquant aux marchés publics suit en effet une logique fédéraliste. La mise en œuvre de l’AMP au niveau de la Confédération est réglée dans la loi fédérale sur les marchés publics (LMP) et son ordonnance. De leur côté, les cantons appliquent l’AMP via leurs législations propres et ont procédé à une harmonisation de celles-ci via l’accord intercantonal sur les marchés publics (AIMP). Les législations fédérale et cantonales font donc l’objet de procédures de révision parallèles. Tout l’enjeu, dans le respect des particularismes locaux et de la souveraineté des cantons, réside dans l’objectif d’une harmonisation aussi large que possible des deux niveaux législatifs. En effet, plus les règles applicables aux marchés publics sont harmonisées et plus le travail des entreprises s’en trouve facilité[2].
La révision de la loi est également l’occasion de clarifier certaines procédures et d’en introduire des nouvelles. Citons par exemple l’inscription dans la loi du principe de l’enchère électronique et une révision des procédures de recours.
[1] Message du Conseil fédéral (p.3) + La Vie Economique 07.2015 p. 6
[2] Message du Conseil fédéral, P. 15
Un projet à améliorer
Parmi les éléments saillants du projet mis en consultation par Berne, commençons par le respect des dispositions relatives à la protection des travailleurs et aux conditions de travail. Le Conseil fédéral imagine en effet de modifier la pratique actuelle et d’exiger la conformité avec les règles en vigueur au lieu du siège de l’entreprise. La CCIG s’oppose vivement à ce changement et estime que ce sont les prescriptions en vigueur au lieu où la prestation est fournie qui sont déterminantes. Dans le cas contraire, on assisterait à l’apparition d’une discrimination inacceptable des entreprises locales actives dans les cantons connaissant des prescriptions plus sévères.
Naturellement, la CCIG approuve le fait que les soumissionnaires étrangers doivent également respecter les dispositions en vigueur au lieu d'exécution de la prestation.
S’agissant des procédures sur invitation, l’article 16 du projet d’ordonnance stipule que « Au moins l'un des trois soumissionnaires invités à présenter une offre doit provenir d'une région économique et si possible d'une région linguistique différentes des régions économique et linguistique dans lesquelles l'adjudicateur a son siège. »
Fidèle à l’esprit du libéralisme économique, la CCIG se prononce fondamentalement contre toute politique de quotas. Ceci étant, si cet article devait être conservé, la CCIG s’étonne du fait que le rapport explicatif apporte la précision suivante : « Afin de respecter l'exigence concernant la représentation de différentes régions linguistiques, les adjudicateurs peuvent tenir compte d'offres provenant de pays avec lesquels la Suisse a conclu des accords de libre-échange ». La CCIG comprend cette phrase comme indiquant, par exemple, que pour tenir compte de l’exigence de représentation des différentes régions linguistiques du pays, un adjudicateur basé en Suisse alémanique pourrait renoncer à solliciter une offre provenant de Suisse romande ou du Tessin, au bénéfice d’une offre soumise par une entreprise française ou italienne.
La réforme clarifie aussi au niveau de la loi les pratiques de la négociation et de l’enchère électronique. La CCIG est partagée à ce sujet. Si d’un côté il est indéniable que ces procédés peuvent permettre de réaliser des économies, il convient d’éviter à tout prix que le seul critère du prix prenne le pas sur les autres critères d’attribution possible. De même, il appartient à l’autorité publique adjudicatrice de concilier les exigences de prix avec la lutte contre la sous-enchère salariale et le travail au noir. Une trop grande pression sur les prix pourrait faire le lit de pratiques contre lesquels les entreprises et l’économie en général doivent pouvoir se prémunir.
La réponse complète de la CCIG à la consultation fédérale peut être trouvée sur le site de la CCIG.
Une plateforme pour ne rater aucun appel d’offre public
En parallèle aux supports de publications classiques tels les Feuilles d’avis officielles, les appels d’offres publics soumis aux traités internationaux sont, pour la plupart, publiés sur la plateforme Simap, permettant ainsi un maximum de visibilité pour les entreprises intéressées. Les projets de nouvelle loi et de nouveau règlement mis en consultation visent à renforcer et à systématiser cette pratique, ce dont la CCIG ne peut que se féliciter.
Le point de vue d’un entrepreneur
Le CCIGinfo a interrogé Robert Gallay, vice-président associé d’Induni & Cie SA, une entreprise dont le département génie civil est fortement concerné par les marchés publics.
Quelle est votre appréciation du système actuel ?
Après une mise en place assez difficile, Induni maîtrise maintenant le processus et a un avis positif à son sujet. En effet, le prix ne constitue pas le seul critère et des aspects tels que le fait que l’entreprise soit formatrice, ses normes sociales et environnementales sont pris en compte. Mais les démarches actuelles sont assez lourdes et je suis conscient que le fait qu’Induni soit une grande entreprise facilite leur prise en main. C’est sans doute plus difficile pour les petites structures.
Approuvez-vous le principe qui veut que les conditions sociales en vigueur pour un marché public soient celles du lieu d'exécution, défendu par la CCIG dans sa prise de position ?
Tout à fait, ce sont les conditions locales qui doivent faire foi. Ceci afin d’éviter que des entreprises locales devant respecter des normes plus sévères soient discriminées.
La langue constitue-t-elle une barrière ?
Absolument. Induni ne soumissionne par exemple pas en Suisse alémanique. Les entreprises comme la nôtre sont de toute façon pénalisées par la distance car déplacer le personnel fait augmenter les coûts.
Que pensez-vous des principes de la négociation et de l’enchère électronique ?
Je suis sceptique par rapport à ces outils, qui mettent trop l’accent sur le seul critère du prix. Aujourd’hui, lorsque l’on soumet une offre, elle est aussi aboutie que possible. Les négociations ouvrent la porte à la suspicion et le risque d’encourager la sous-enchère salariale est réel.
Rencontrez-vous des problèmes particuliers ?
Un problème auquel nous nous heurtons est le manque de maîtrise de certains maîtres d’œuvres, et particulièrement des petites administrations. Si les professionnels de la construction ont dompté aujourd’hui le fonctionnement des marchés publics, ce n’est souvent pas le cas de certains mandataires. Ces derniers devraient être formés ou soumettre le suivi des adjudications à des spécialistes. Cela permettrait d’éviter une mauvaise interprétation du règlement.
En outre, par peur des recours, il arrive que des travaux soient adjugés à l’entreprise qui offre le meilleur prix, sans tenir compte des autres facteurs, même si les recours sont difficiles à mettre en œuvre et n’aboutissent que rarement.
Qu’est-ce qui pourrait être amélioré ?
Dans le domaine du développement durable, les entreprises de construction suisses sont déjà très en avance. Induni vient par exemple de signer la Charte du développement durable et a engagé une ingénieure en environnement qui suit tous les chantiers. Ce que je regrette, c’est que le facteur de proximité ne soit pas pris en compte dans les adjudications. Mais cela viendra, j’en suis persuadé.
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